Marie-Louise RAISIN-HAMENTIEN

Hommage de Michaël LANDOLT de l'association "Sauvons le fort de Queuleu à Metz", lors des obsèques de Marie-Louise RAISIN-HAMENTIEN le 14 mars 2017

 

Marie-Louise RAISIN a 20 ans en 1943 lorsqu’elle travaille avec le passeur d’Amanvillers René MICHELETTI au sein de la filière Metz/Pagny du réseau de résistance Mithridate. Puis après sa rencontre avec Marie-Louise OLIVIER née BASTIEN dite « Malou », elle intègre la filière mosellane du réseau Marie-Odile issu des Forces Françaises Combattantes. Ce réseau fondé dès août 1940 à Nancy par Pauline-Gabrielle de SAINT-VENANT dite Marie-Odile LAROCHE, s’étendait dans toute la France et regroupait plus de 600 agents dont environ 200 furent arrêtés et une soixantaine fusillés ou morts en déportation. Menacée d'arrestation, Madame de SAINT-VENANT réorganise le réseau depuis Paris avant d’être arrêtée le 4 mai 1944 et déportée au camp de concentration de Ravensbrück où elle décèdera. Son gendre, le docteur Joseph-René HELLUY, prend alors la tête du réseau depuis Nancy. En plus des services de renseignements et de transport d’armes que le réseau assurait, ce-dernier réalisa plus de 30 000 passages à destination des maquis, de la France libre, de l’Afrique du Nord, de la Suisse et de l’Angleterre. Le réseau prenait en charge des prisonniers de guerre français, des alsaciens-mosellans réfractaires à l’armée allemande, des Juifs, ainsi que des aviateurs alliés – plus de 300 –. Hébergement, habillement, convoyage et faux-papiers sont fournis par le réseau. Pour la région messine du secteur Est, Pierre EHRMANN, un des futurs évadés du fort de Queuleu, en est le responsable. Marie-Louise réalise des faux-papiers et prend part aux opérations de passage.


A partir de mi mars 1944, il y a quasiment 73 ans jour pour jour, le secteur mosellan du réseau Marie-Odile est anéanti par la Gestapo suite de l'action de deux agents du Sicherheitsdienst (SD), Émile SCHANG et Georges DEMERLÉ, infiltrés depuis quelques mois dans la filière et qui avaient reçu la confiance d’agents du réseau : notamment Malou et Fernand TRAVER, mon-arrière grand-père. Marie-Louise RAISIN participera à leur procès après la guerre. Le 17 mars 1944, Marie-Louise OLIVIER est arrêtée en gare de Metz tandis qu'un convoi d'une douzaine de réfractaires acheminé dans un train parmi des voyageurs est capturé à Amanvillers par la Gestapo. Des coups de feu sont tirés, l’agent de la Gestapo PISTORIUS est blessé. Parmi les réfractaires se trouve Alphonse BARTHEL, aujourd’hui un des derniers témoins de l’enfer de Queuleu. En quelques jours, une centaine de personnes est arrêtée en Moselle et en Meurthe-et-Moselle.


Samedi 18 mars 1944 à 6 heures et demi du matin, on sonne. Des cris, « Polizei » et deux hommes en civil s’avancent avec un révolver au poing et demandent : « Bist du die Marie-Louise ? ». Marie-Louise RAISIN est arrêtée. Un agent de la Gestapo lui bande les yeux puis la pousse à l’intérieur d’un véhicule où elle retrouve les époux MELVIG, Fernand TRAVER, Mathilde et Jean-Pierre THOMÈS. Plus tard, la voiture charge des membres de la famille OLIVIER, Marie PINCEMAILLE et Louis SUTTOR. Puis la voiture monte… au fort de Queuleu que la radio anglaise avait surnommé « fort des martyrs ». Vers 9h, la voiture s’arrête, la portière s’ouvre, on descend à tâtons, on entend un bruit de ferraille et de clés, une lourde porte s’ouvre, on range les prisonniers en file indienne, avant de descende les escaliers. Le froid est glacial. C’est le début de la descente aux Enfers...


Pendant l’interminable attente, les femmes entendent le commandant HEMPEN donner des gifles aux hommes qui sont fracassés contre les armoires en fer. Pendant ce temps la radio joue, l’air de rien, quelques airs de danse et les gardes donnent leurs impressions sur les femmes. Ils cherchent laquelle est la plus jeune, laquelle a les plus jolies jambes et ne se privent pas pour leur marcher sur les pieds. Comme les bêtes à l’abattoir, les prisonniers ne sont plus que des numéros.
912 pour Alphonse BARTHEL, enregistré la veille.
916 pour Fernand TRAVER, numéroté quelques heures avant Marie-Louise RAISIN qui prend le numéro 927.
Puis c’est le tour de Marie PINCEMAILLE avec le 928.


Le règlement est très simple : un SS baïonnette au canon se trouve dans la cellule jour et nuit, interdiction de parler et de lever le bandeau, lever à 6 heures et coucher à 21 heures. Le reste de la journée attendre assis sur des bancs sans rien faire. Demander la permission pour se gratter, pour se moucher, pour attraper ses puces, pour faire ses besoins naturels... Le Jeudi-Saint, on appelle le numéro de Marie-Louise RAISIN et c’est le début des interrogatoires. La prière aide à tenir. Des chapelets réalisés en ficelles sont régulièrement confisqués par le commandant qui les brûle en disant qu’il débarrasserait le fort du Diable !


René MICHELETTI, qui avait été arrêté début décembre 1943 et qui appartenait au kommando de travail du fort, entre en contact avec Marie-Louise. A travers René THILL, qui faisait fonction d’infirmier dans le camp, il lui indique tout ce qu’elle devait dire à l’interrogatoire. Le 19 avril 1944, René MICHELETTI, René et Gaston THILL ainsi que Pierre EHRMANN s’évadent avec succès du fort de Queuleu. Marie-Louise, dans la confidence, leur a préalablement donné l’adresse d’un homme qui n’était pas arrêté qui pouvait leur procurer des faux papiers.


Le 16 août 1944, le fort de Queuleu va bientôt être totalement évacué. Les quelques rares affaires sont emballées. Les femmes apprennent que certaines resteront à Metz et que les autres seront évacuées vers l’Est. Marie-Louise OLIVIER, Marguerite DURRMEYER future épouse OBRECHT, Madeleine CHEILLETZ, Claire HARTMANN et Marie-Louise RAISIN font parti du convoi qui comporte 104 femmes. Le train quitte Metz à 9h le lendemain pour le camp de sureté de Schirmeck en Alsace. Marie-Louise RAISIN vient de passer 153 jours à Queuleu. Le camp spécial de Queuleu a existé 311 jours. Marie-Louise a connu la moitié de son existence ! Vers 19h, le train s’arrête en gare de Schirmeck. On fait descendre les femmes, la Gestapo de Metz signale à la directrice du camp Fraü LEHMANN un groupe de quatre femmes dont fait partie Marie-Louise : « Die vier Schlemmerin von der Band »/« Les quatre fines gueules de la bande ». Celle-ci les terrorise immédiatement en distribuant des paires de claques. Les cheveux des prisonnières sont attachés ensemble par derrière avec une ficelle. Ça fait chic et ce n’est pas difficile à faire ; avis à toutes celles qui son coquettes, un petit stage là bas et on est guéri !


Le 23 août 1944, les jeunes femmes sont emmenées à Gaggenau-Rotenfels près de Karlsruhe dans le Bade-Wurtemberg. Par une chaleur épouvantable, de nombreuses femmes qui avaient transité par Queuleu font parti du voyage en camion. Sur place, Marie-Louise RAISIN est affectée à l’usine automobile Daimler-Benz où elle participe aux travaux de soudure. Le site est souvent bombardé et il faut échapper aux bombes alliées. Fin novembre 1944, seize Mosellanes, qui avaient étaient prises en otage à cause de la désertion d’un membre de leur famille sont libérées, notamment Madeleine CHEILLETZ. Il ne reste plus que six Mosellanes au milieu d’Alsaciennes et d’Allemandes. Ces dernières doivent être envoyées sous peu à Ravensbrück ! Des bobards incroyables circulent et « Radio Cabinet » bat le record. Le 30 mars 1945 à 18h, Marie-Louise RAISIN est libérées avec d’autres après avoir été convoquée par l’administration. Il reste peut être encore une cinquantaine de prisonnières dans le camp. Sans affaires et désargentée, après avoir été hébergée chez l’habitant dans le Pays de Bade, elle traverse le pont de Kehl et arrive enfin en France le 20 avril, jour de ses 22 ans, après plus d’un an de captivité. Le 23 avril 1945 à 10h Marie-Louise est de retour à Metz !


Avant d’être arrêtée, Marie-Louise lisait « Etoile au Grand Large » du scout-explorateur Guy de Larigaudie. En épluchant les patates, elle se rappelait qu’il « était aussi beau de peler des pommes de terre pour l’amour du Bon Dieu que de bâtir des cathédrales ». Elle pensait souvent à cette phrase lorsque le courage lui manquait pendant sa déportation.


Marie-Louise, votre témoignage nous touche aujourd’hui dans le documentaire « Debout ! » que nous visionnons régulièrement. Pas plus tard que ce matin, lors d’un stage citoyenneté où nous intervenons, votre message a pu interpeller des jeunes. Le 10 mai 2015, nous avons pu organiser d’émouvantes retrouvailles avec Madeleine CHEILLETZ qui était internée avec Marie-Louise à Queuleu, Schirmeck et Gaggenau-Rotenfels. Que d’émotions partagées ! Marie-Louise, avec vous s’éteint une grande figure de la résistance messine et un des derniers témoins de l’enfer de Queuleu. La sauvegarde du fort de Queuleu est aujourd’hui portée par d’autres générations notamment la plus jeune. Soyez donc assurée que votre destin sera porté par l’association du fort de Metz-Queuleu. Dans quelques années, plus aucun témoin ne pourra témoigner de l’Enfer de Queuleu… Mais ne vous inquiétez pas, nous serons toujours là, pour rappeler la mémoire de ceux qui comme vous qui passèrent les pires moments de leur vie dans ces sinistres geôles…

 

 

 

 

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